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L'Yonne et L'Agneau - Une fable Pastorale
27 janvier 2022

Paroles de Bergère #4 - 31 décembre 2020

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On se lève, on déjeune, on s’habille comme chaque jour. On va voir le troupeau de 400. Ça se passe bien, on change de place les moutons, on tire des filets, on en range d’autres et on en retire, on remet le courant, on se casse. Presque comme d’habitude. Le petit chien tente de passer sous les filets, sauf qu’il est trop grand maintenant, il se coince dedans et manque de pot, le courant passe. Il couine plusieurs secondes, on se précipite sur le poste, on arrête tout, on l’extirpe, il fuit vers le jumpy emprunté au grand-père ce matin, la 205 se fait réviser, on remet tout en place, on repart. Le patron arrive. Tempête chez les bergers du canal. On continue notre journée. On va vers le gros troupeau. Les 1200 attendent le couvert frais. On pose des filets. Drache. On se précipite dans la bagnole. Ça se regroupe d’un côté, ça grelotte de l’autre, ça ne s’arrête pas ; on décide de partir manger, on reviendra dans deux heures, la météo nous guide dans cette décision. Ça va pas bouger. On peut finir dans deux heures. Grand max.

Évidemment, la vie est faite d’imprévus. Le jumpy repart avec les grands-parents, la 205 est prête, le déjeune s’étire, ils ont beaucoup de choses à nous dire pour le soir. On réalise qu’on change d’année dans quelques heures. Ok, on avale le dessert, on regarde dehors. La pluie s’arrête plus tard que prévu. Faudrait y aller, sous l’averse interminable, tirer des filets les mains engoncées dans sa chair glacée. Le petit chien tremblote aussi. On a que lui aujourd’hui, il faut en prendre soin. Ettou, le moteur de l’équipe canidée renforce la troupe du canal. Ça transhume. On repart, avec trente minutes de retard. Le ciel lourd vient seulement de s’arrêter de pleurer. Mais là-haut, ça commence à pousser. Ça patauge dans la bouillasse et il manque encore deux filets… Pas le temps de les mettre que dès le courant retiré, ça sort.

Et merde. L’évidence parfois nous joue des tours… On se dépêche de poser le filet dans notre main mais ça va trop vite. Ceux qui font un coin ne contiennent qu’un quart du troupeau, les autres partent déjà en direction du blé d’automne du voisin. Et on court, et on crie des ordres, et le petit chien court, s’arrête, regarde, court, en détourne un groupe, court, me regarde, court, ça crie des ordres, ça gesticule, ça court, ça plante des piquets, ça glisse dans la boue, ça protège le blé, ça court, ça… ça… se fait déborder. Le champ en pente trahit les jambes, la boue aspire les chaussures, le petit chien est bien petit.

« Aller Rodin, on vit notre première aventure tous les deux ! »

Il tenait encore dans mes bras à ce moment-là.

Arrive un 4x4 blanc depuis la petite route en bas. Ça rentre sur le chemin boueux. Ça s’arrête avant de s’enliser. Venez m’engueulez m’sieur, je m’en fous, mais si vous pouviez nous aider à rentrer tout ce monde… Si le paysan n’est pas dans un mauvais jour, il filera un coup de main avant de grogner… Rodin court toujours en travers du champ, j’arrive à faire redescendre des groupes vers le parc. Je vois l’homme se mettre au milieu du chemin et faire de grands gestes. Miracle ! Tout le troupeau parti le plus haut fait demi-tour, rejoint les bouts retenus par le chiot et par les piquets que j’ai réussi à redresser. Je ferme le dernier filet, indique à mon tonton (deuxième miracle !) – qui n’est pas paysan mais juste venu en visite à Sacy, par hasard au bon moment – comment regrouper les bêtes et en quelques minutes, tout le monde retrouve le chemin de l’ordre et de la discipline entre les filets. Le chiot, tout content, se poste devant moi, la langue tirée. 

Croyez-le ou non, à cinq mois, Rodin a réussi à contenir mille deux cent têtes de moutons dans le couvert. Aucune trace de sabots n’a creusée le sol du voisin.

Quand je le vois aujourd’hui, ce 31 décembre 2021, allongé de tout son long, j’apprécie tout le chemin qu’on a fait ensemble. Il est devenu chien d’artiste. En attente de retourner aux moutons, un jour... avec ou sans moi.

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