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L'Yonne et L'Agneau - Une fable Pastorale
5 avril 2021

Rendez-vous à l'heure du berger

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Salvador Dali - Persistance de la mémoire

Le berger est une unité de mesures que je découvre. Il sert d'étalon pour mesurer la quantité de travail : ces troupeaux valent un berger et demi.

Il permet de mesurer des surfaces : 57 pas de "petit" berger avant de poser le prochain filet.

et c'est aussi une unité de temps : l'heure du berger... 

Rendez-vous à 20h, bon 20h30. La réunion du collectif prendra fin à 22h30, c'est annoncé.

21h30, une partie des troupes raccroche, les autres continuent car l'ordre du jour est conséquent et il y a des priorités qui nécessitent qu'on leur consacre encore un peu de temps.

22h30. Nous restons.

00h00 l'atmosphère se relâche tandis que la conversation suit son court, de nouvelles thématiques sont lancées, puisque l'on est ensemble autant en profiter.

1 heure, la troupe se réduit les réfléxions autour du travail se poursuivent...toujours.

Le berger peut-il s'arrêter ?   

"Et si nous allions nous coucher et simplement dormir ? Dormir... Le sommeil a les avantages de la mort sans son petit inconvénient..." Ecrivait Albert Cohen.

Certains alimentent les échanges. Il n'y a pas d'heure pour les idées. Un peu plus, on était prêt pour réceptionner une livraison nocturne de moutons.

Les chauffeurs ont préféré repousser au lendemain. 2 heures. Les moutons patienteront et nous, on peut aller se reposer.

Une nouvelle journée. 17h puis 18h et finalement bientôt 19h, le soleil est encore là, un troupeau attend qu'on lui rende visite pour les soins du soir.

Préparation, échanges sur le programme à suivre, point sur les missions et en avant ! 

Les rituels prennent place, temps d'observation, de réfléxion, d'anticipation, calculs de surface pour la quantité de nourriture à venir. 

Sachant qu'en ce moment, tel troupeau mange de l'herbe sur un huitième de surface en une journée, que la dite surface mesure trois quarts d'un hectare, qu'un filet mesure à lui seul 50 mètres, combien de....

ça laisse imaginer tout un tas de problématiques et ça change des parts de gâteaux ou de pizzas à compter dans les bons vieux manuels scolaires. 

Bientôt la classe en plein-air ? Autorisons-nous à rêver. 

Tout est en ordre et les bêtes semblent bien se porter. Demain une grosse journée les attend, autant les laisser maintenant.

Le temps a filé et déjà le ciel se couvre d'étoiles... De l'étoile du berger pour commencer. Elle veille sur ceux qui travaillent, qui, rassemblés dans un véhicule, se projetent dans la journée à venir, dans les rôles à assumer. Tout semble prêt. 

21h30. Un nouvel épisode s'achève. Un autre commence déjà. 

Les moutons ? Tu sais quand ça commence, pas quand cela finit...

Cette phrase résonne comme un mantra.

8h45, le soleil brille et caresse les visages. Le moment est figé. Rendez-vous à 9h ? Nous avons le temps pour une tisane. 

C'est dimanche, les minutes ont le droit d'être au ralenti, le rendez-vous se décale. 

Chaque mission s'effectuera lorsqu'elle aura à s'effectuer. Patience. Rien ne sert de courir. 

Les rituels du matin s'achèvent. Les moutons ont à manger pour la journée, le patou aussi, des parcs d'avance sont posés, le courant est rétabli. 

Une nouvelle aventure commence. 

"Il n'est pas tard à l'heure d'hiver finalement."

Nouvelle étape : le tri du troupeau, de nouvelles étoiles nous guident. Celles-ci sont bleues et tamponnées à la peinture sur les toisons de certains moutons. 

Une fois chaque bête rassemblée dans son groupe et les erreurs réparées, "il est temps" revient sonner. C'est l'heure du déjeuner ?

Non, les missions ne sont pas terminées. Il est temps de partir marcher. Temps de transhumer. 

Temps de compter en unité de berger, au rythme du troupeau, fusionner avec leur fuseau horaire. Nous avançons et nous laissons guider. 

Laisser les agneaux se reposer pendant que les bergers préparent leur nouveau gîte pour la nuit. Tirer les filets et laisser pâturer. 

Tout est prêt, la marche reprend, le temps reprend sa course. 

19h30 installons-nous. Repos bien mérité. Le troupeau est en place, les bergers se retrouvent au milieu de la parcelle aménagée, ces quelques minutes sont pour eux. Pour regagner de l'énergie, pour la joie de partager les ressentis autour d'un pique-nique improvisé, hors du temps, quelques instants.

L'heure du berger sonne, il est temps de soigner, il est temps d'aller s'occuper des jeunes agnelets, il est temps de laisser ce troupeau, de se remettre en route. 

Le berger peut-il s'arrêter ? 

Nouvelle réunion, nouveau temps d'échanges et de projection. L'esprit ne connaît pas le repos. Sommes-nous encore en "heures efficaces"? 

On le dirait bien. Les idées, les besoins, les projets sont trop comprimés dans le cadre d'une horloge, cela déborde de tous les côtés.

Dali s'est-il inspiré de ce rythme de vie pour peindre son tableau? 

C'est une interprétation comme une autre.

Petite, je dé-tes-tais ça ! Je détestais être en retard. Je détestais devoir attendre pendant des durées indéterminées et indéterminables. Je détestais être privée de sorties, de "loisirs" non pas à cause d'une bêtise mais parce qu'il "n'y avait pas le temps".

Je détestais avoir le sentiment de ne pas pouvoir compter sur mes propres parents. 

Ces agriculteurs-exploitants qui ne vivaient, respiraient, pensaient que pour leur métier.  

De mes yeux d'enfant, ça n'avait pas de sens, comment pouvait-on faire passer un travail avant une vie de famille ? Avant les gens qu'on aime ? Avant les petits bonheurs, avant les plaisirs ? 

Cette vie qu'ils s'étaient choisie, j'ai voulu la fuir, m'en éloigner...Aujourd'hui, je la retrouve de plein fouet.

Quand une opportunité se crée, j'essaie d'y aller, d'être là pour observer et tenter d'apporter ma contribution à cette entreprise. Je m'imprègne de l'atmosphère, me glisse dans le moule d'un cadre mouvant et sans limites établies.  Je veille à suivre autant que possible le rythme, les codes et les exigences du métier. Je suis là en cet instant parce que je l'ai choisi et...aujourd'hui, je comprends.

Je comprends l'heure du berger, l'heure du paysan, l'heure du vivant... 

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