Bon baiser de Transhumance !

 

Nous sommes lundi matin. C'est la rentrée. Une douche, un peu d'élégance dans la tenue, une touche parfumée.  Je suis prête. 

Il est temps d'y aller... J'ai besoin d'un café... de deux cafés !  C'est la rentrée. 

Dans mon véhicule, c'est un parfum plus sauvage qui m'accompagne. Une odeur animale devenue familière ces derniers jours, ces dernières semaines. 

Je mets le contact et pose les mains sur le volant : mes ongles sont noirs : Noirs de terre, noirs d'une nouvelle expérience. 

Petit voyage dans le temps sans avoir besoin de sortir la Dolorean, ça s'est seulement passé hier. 

Deux journées se succèdent, deux ambiances totalement décalées. 

Alors que j'improvise une manucure de dernière minute, je quitte quelques instants l'univers des fonctionnaires pour revenir à la Terre.

Hier, c'était dimanche.

- Tu n'as rien de prévu ? Nous partons en transhumance : une centaine de brebis, 9 kms à travers champs, sous-bois et villages, tu participes ?

- Volontiers ! 

Ni une,  ni deux, je prépare mon équipement, mon nouvel équipement. Une aventure précédente m'a appris que sans "pieds" on ne pouvait pas voyager, du moins, pas dans la durée.

Alors, par cette journée automnale, un peu humide,  rien de tel que :

Des chaussures étanches, de bonnes chaussettes, un pantalon adéquat, des gants, un coupe vent, un gilet jaune et on ne sera pas trop mal.

L'accessoire du berger c'est aussi un fouet et, dans l'idéal, un moyen de communiquer à distance. Les téléphones portables feront l'affaire. 

L'abondance fruitière de l'année nous offre quelques sources d'approvisionnement à glaner sur le chemin : pommes, noix, prunelles... 

Qui veut voyager loin... apprend à se ménager et à entretenir ses forces. 

Finalement, le temps est agréable. Nous démarrons gentiment. Le rythme, c'est le temps de prononcer "Rhinocéros" ou si vous n'êtes pas à l'aise avec cette unité de mesure comptez 3 km/h et on n'oublie pas : la personne qui est devant devient la cheffe ! Pas la moindre brebis n'a l'autorisation de la dépasser !  C'est elle qui guide. 

Malgré le besoin de vigilance, on savoure le cadre, les couleurs, les odeurs. On discute biodiversité et essayons de ne pas trop déprimer en observant les décharges sauvages créées par des citoyens manquant quelque peu de civisme...

Toupie et Miette, chiennes de conduites, nous accompagnent. Elles sont une aide précieuse. Elles rassemblent le troupeau et remettent les brebis égarées ou un peu rebelles sur le droit chemin.

 

Elles accomplissent leur travail avec sérieux et sont vigilantes aux ordres prononcés par leur berger du jour, chacune le sien. 

Cette sensation de liberté est, par ces temps si particuliers, plus que bienvenue. 

Lors de la traversée de villages, les gens sortent aux fenêtres, prennent des photos, nous interpellent pour avoir quelques informations et certains se verront même devenir "nounou à brebis" le temps d'un aller-retour pour venir chercher une de ces dames aux sabots trop fatigués pour continuer.

Auriez-vous un bout de jardin à nous prêter Madame ?  

Ces échanges sont stimulants. Bien sûr, l'enthousiasme, bien que majoritaire, laisse aussi place à quelques râleurs, à quelques trop pressés, trop enragés, trop âgés, à quelques fous du volant, et autres "à moi la priorité"....

Il faut savoir raison garder, prendre le temps d'expliquer l'art de la patience, faire comprendre avec un sourire que ces quelques minutes demandées sont en réalité un gain précieux pour éviter tout type de dangers. On le sait, un accident peut vite arriver. 

Respectons-nous et apprenons à partager.

Enfin, les curieux et les heureux, eux, restent unanimes : 

"Quel plaisir de revoir des moutons !" 

Cet élan de sympathie questionne. Comment a-t-on pu si vite oublier ? 

La transhumance en soi n'a rien de révolutionnaire, elle a plus ou moins toujours existé... Est-ce que le monde serait prêt à la réhabiliter ? 

En attendant, continuons notre bout de chemin. Les kilomètres se passent et il est temps d'arriver, une fatigue commence doucement à se propager, le rythme est moins régulier. Il y a des pauses pour grignoter, flâner, se reposer... Tout le monde essaie de tenir bon.

Les bergères sont là pour encourager et dynamiser les troupes ! Le parc n'est plus très loin.

L'herbe tendre du chemin de halage vous attend les filles ! Un dernier effort et vous y serez...

Et c'est comme ça que, 9 kilomètres plus loin, tout le monde est paisiblement arrivé. Il est l'heure d'aller se reposer. Enfin, ça, c'est pour les brebis ! 

La vie de berger, elle, se poursuit : de nouveaux parcs à monter, des agneaux à faire téter, des projets à rédiger ou du matériel à installer. 

La journée, finalement, ne fait que commencer.