Vis ma vie de brebis

Le plaisir de rentrer dans un foyer et savourer une boisson chaude après une journée en plein air, sentir les courbatures se relâcher, être simplement bien, agréablement fatiguée...

La sensation de luxe tient à peu de choses finalement. 

Aujourd'hui, je garde des moutons. Pas seule, je n'en ai pas les compétences alors je vais plutôt tenir compagnie à ceux qui savent. 

Arrivée de bonne heure, le travail a déjà commencé. Je découvre avec plaisir la "récolte" du jour : 4 agneaux sont nés cette nuit, dont deux pour une seule et même brebis. Félicitations madame ! 

La température extérieure est un peu fraîche : "4°C ce matin, un peu plus et on avait de la neige !" .

Le ciel change, les nuages passent avec leurs lots d'averses ou de rayons de soleil. C'est ainsi. Il suffit de s'équiper.

Les moutons sont là et profitent de la surveillance humaine pour grignoter sans filets les vastes étendues qui leurs sont offertes depuis quelques semaines déjà.

Les quantités varient en fonction des espaces, l'idée est donc d'accompagner le troupeau au gré de son appétit.

Mine de rien sur sept heures de garde ça doit en faire du chemin... Aucune idée.

Le cadre invite davantage à la contemplation qu'à la réalisation d'une performance physique mesurée. 

Observation des paysages, de la faune et de la flore environnante, tout devient source d'apprentissage, de ré-apprentissage.

Une douce façon de nourrir son esprit, de le stimuler et de l'aider à entrer à nouveau en communion avec ce qui l'entoure en cet instant. 

La vigilance reste nécessaire. On a beau être en compagnie de moutons, les rebelles existent et, à plusieurs reprises, certaines tenteront de nous échapper. Aaaah le goût de l'interdit et son adrénaline ! 

Pas de chance Mesdames ! Nous veillons aux grains et l'endurante Toupie ne manquera pas une occasion de vous ramener sur le droit chemin du pâturage, certes sans piquets, mais légal et surveillé. 

Un geste donné, un ordre oralisé et cette bergère à 4 pattes file appliquer les consignes reçues.

Parfois, elle ne sait plus où donner de la truffe mais trouvera toujours le temps d'offrir de délicates attentions à ses compagnes de fortune.

La sororité dans toute sa splendeur ? Je m'égare...  

Un dimanche d'automne au milieu des plaines et des sous-bois... Sommes-nous seuls ? N'avons nous pas oubliés quelques occupants locaux et saisonniers ? 

Non, on ne peut pas les oublier. Entre les cors et les gilets fluorescents ils sont suffisamment sonores ou colorés pour entretenir une place dans notre mémoire.

Dans cette errance gastronomique le plus sage est surtout d'anticiper. Un berger, une brebis ou un chien recevant une balle perdue, ça fait mauvais genre alors les chasseurs sachant chasser ont été appelés et mis au courant de notre présence, ils ouvriront l'oeil et nous saurons cohabiter. 

En un instant, ce n'est plus suffisant pour être parfaitement rassurée. La quiétude de cette marche d'accompagnement en liberté est soudain perturbée par des aboiements, intenses, puissants, nombreux. Le vent les porte à nous ou se rapprochent-ils vraiment ? Difficile à dire... 

On se croirait dans un de ces passages de Walt Disney où l'on préfère fermer les yeux plutôt que d'affronter la réalité de la mort de la maman de Bambi... ( A chacun ses traumatismes ! ) 

Les secondes semblent durer une éternité. Instinctivement, les bêtes se sont regroupées et continuent d'avancer en s'éloignant des sous-bois. La plaine et son étendue apportent sécurité et visibilité. La chienne de protection est en alerte et part aussi vite que possible en repérage. 

Sommes nous dans le cercle d'intérêt ou d'inquiétude ? Pour la chienne je ne sais pas, pour moi, j'ai une petite idée... J'imagine voir quelque chose arriver quelque part : Là-bas ! Maintenant ! ou.... Dans quelques secondes ? Où ? Quand ? 

Cela va passer... Tout passe... et effectivement, au bout de quelques minutes, les tensions s'apaisent.

La protectrice revient paisiblement à nous.

Tout est sous contrôle.

Finalement, la journée s'est tranquillement écoulée sans que l'on s'en rende compte. Il est temps de rentrer. 

- Tu les appelles ? 

- ?!  Mais, je ne sais pas faire ! Il faut d'abord que je m'entraîne dans ma salle de bain.... 

- L'astuce, c'est de faire vibrer sa langue et de prononcer un "ou".

- Ok... Je me lance  : DddRrr....Rrrrr...DrrrouOUuuu.

Eh bah c'est pas gagné !  Au moins, personne - pas même le berger - ne se sera enfuit en courant, les brebis sont bien rentrées, la chienne a eu à manger et moi je continue de... progresser ? 

Garder des brebis. Une parenthèse dans une vie agitée.

L'opportunité d'avancer quelques heures au milieu de vies qui ne comptent que sur l'instant présent. Hier est oublié, demain n'existe pas.

Je pâture donc je suis.

Comments

[David_Val]

Magnifique texte 😊